Des canards dans la mare (1re partie) | NHL
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Un scénario, un film, une machine commerciale, une équipe. L’aventure The Mighty Ducks, portée par la toute puissante Walt Disney Company, a clairement marqué les esprits. Nous vous proposons le premier volet d’un récit, celui d’une saga hors norme dans le sport professionnel. Des premières pages d’un scénario rédigé par un passionné jusqu’à la fin de l’ère Disney dans le monde du hockey.
Tout a commencé par une histoire. Celle imaginée par Steven Brill. Tout jeune, ce natif d’Utica dans l’état de New York baignait déjà dans le hockey avec le club de Clinton. Il admettra ne pas avoir été assez bon sur les patins mais la passion lui colle à la peau, ce New-Yorkais s’enthousiasmant… pour les Bruins de Boston. Le jeune garçon, né en 1962, s’émerveille devant les exploits de Bobby Orr et Phil Esposito.

Ce hockey, Brill va le perdre de vue pendant un temps en déménageant avec sa famille en Floride. Il reviendra dans le nord des États-Unis en suivant des études cinématographiques à la Boston University. Le diplôme en poche, il s’expatrie alors à Hollywood pour y faire carrière, et s’installe en colocation avec Peter Berg, futur réalisateur entre autres de Very Bad Things, Hancock et du Royaume.
Nous sommes dans les années 80. Peter Berg et Steven Brill sont sans-emploi. Ils essayent de tuer le temps ensemble mais les circonstances vont faire que Brill va retomber amoureux de sa première passion, qui s’est pendant un temps éteinte, le hockey. Berg est également originaire de la côte est et également grand amateur de hockey. Ensemble, ils assistent régulièrement aux matchs des Kings de Los Angeles, les places étant à l’époque très bon marché. Ils vont également chausser les patins. Ce goût de la glace va alors inciter Brill à écrire, à tout juste la vingtaine en 1987, sur le hockey en s’inspirant (fortement) de « The Bad News Bears » (La Chouette Équipe en français), un film de 1976 dont il est fan et qui narre les aventures d’une improbable et jeune équipe de baseball.
Dans le mille, Brill
Mais le 9 août 1988 se manifesta un tremblement de terre de l’Alberta à la Californie. Wayne « The Great One » Gretzky est échangé d’Edmonton à Los Angeles : « The Trade », le fameux transfert, celui qui bouleversa le hockey. Incrédulité au Canada, colère à Edmonton, mais une incroyable ferveur pour le hockey s’empare de la Californie. Steven Brill et Peter Berg sont aux anges dans la Cité des anges. Berg, qui a gagné de l’argent grâce à quelques rôles, offre alors à son ami l’abonnement pour assister aux matchs des Kings, le siège n’étant plus à 5 dollars depuis l’arrivée du 99. Ils deviennent des fans assidus des Kings et du Great One, et feront d’ailleurs le déplacement lors d’un match 7 mémorable à Toronto en 1993, une victoire des Kings 5-4 qui leur permettra d’accéder à leur première finale de la Coupe Stanley (perdue ensuite face à Montréal). Peter Berg réalisera d’ailleurs un documentaire sur Wayne Gretzky : « King’s ransom », la rançon du roi.
L’écho de la venue de Gretzky à Los Angeles est monumental. Et pendant ce temps, Brill, qui a travaillé en tant que scénariste pour la télévision, a terminé le script de son film de hockey, et se décide alors à le proposer aux studios. Il toque à la porte de Disney en espérant capitaliser sur l’effet Gretzky, qui a eu des répercussions bien au-delà du hockey. Et Brill va faire mouche auprès du président de la Walt Disney Company. Il s’avère que Michael Eisner, à la tête de la firme aux grandes oreilles depuis 1984, est un grand amateur de hockey, inconditionnel des New York Rangers depuis son enfance à Big Apple, désormais spectateur régulier des Los Angeles Kings, et dont les deux enfants pratiquent la discipline. Steven Brill ne pensait pas tomber sur un spécialiste aussi averti !
Eisner est donc un connaisseur, comme le confirment ses propos au Time : «Nous avions produit un tas de films sur le sport. Mais le hockey semblait une bonne chose à faire. Je suivais mes fils qui pratiquent le hockey. Donc je connaissais le hockey junior, le hockey professionnel, le hockey californien. Je connaissais le milieu. Alors je me suis dit : « allons-y ! ». »
La Walt Disney Company achète le scénario de Steven Brill en 1990. Le début d’une décennie lors de laquelle la firme de Burbank prévoit un plan de croissance sans précédent nommé « Disney Decade ». Ce projet vise à toucher toute la palette de l’empire de Mickey, aussi bien de nouveaux parcs (dont l’inauguration de Disneyland Paris en 1992) ou l’audiovisuel avec l’acquisition des chaînes ABC et ESPN, ainsi que le studio Miramax.
Un box-office qui canarde
Le projet The Mighty Ducks (qui sera traduit par « Les Petits Champions » en France) est définitivement lancé. Le lieu de tournage n’est pas choisi par hasard, les caméras de Walt Disney Pictures sont plantées dans le Minnesota, fief du hockey américain. On retrouve au casting Emilio Estevez, fils de Martin Sheen et frère de Charlie Sheen mais qui a conservé le patronyme d’origine pour se démarquer. Celui-ci a alors une carrière respectable à Hollywood – avant de disparaître puis réapparaître dernièrement dans le cinéma indépendant. Estevez interprète Gordon Bombay, un avocat à succès pris en état d’ébriété et sanctionné de travaux d’intérêt généraux. Il doit alors prendre en charge de jeunes hockeyeurs dissipés qui deviendront champions. Parmi eux, on retrouve notamment Joshua Jackson, qui interprète Charlie Conway, futur acteur récurrent des séries TV Dawson et Fringe, et tout récemment dans Little Fires Everywhere. Le scénariste Brill est d’ailleurs présent dans le film, jouant le rôle de l’avocat Frank Huddy.
Le 2 octobre 1992, The Mighty Ducks est projeté dans les salles américaines, toutefois dans un nombre assez limité. Peu de gens s’attendent à un succès, le scénario n’est pas très original, le public cible est jeune. Et pourtant, la magie opère. Le film va rapporter 50 millions de dollars de recettes au box office, d’excellents chiffres en dépit de la faible distribution en salles. Les scores satisfaisants engendreront deux suites, toujours écrites par Steven Brill.
L’ancien hockeyeur Ben Clymer, vainqueur de la Coupe Stanley en 2004 avec Tampa Bay, est natif du Minnesota comme les jeunes personnages du film. Il a joué avec et contre des acteurs / joueurs présents dans The Mighty Ducks. Il se rappelait d’un véritable raz de marée à l’époque, auprès de nhl.com : «Ce film s’adressait à un public jeune, et j’avais l’âge qui correspondait à l’époque. À tous, jeunes joueurs de hockey, le film a vraiment capté notre attention. C’était un très bon film qui nous faisait rire. On voyait ensuite les gamins tenter de reproduire les mouvements vus dans le film. C’était amusant de voir ses amis au cinéma. C’est surréaliste de voir quelqu’un que l’on connaît sur grand écran. »
Le succès est tel qu’il influence directement la discipline. Dans les années 90, quand la saga des Ducks battait son plein, le nombre de licenciés de USA Hockey a augmenté de 56% en trois ans. Des mouvements inventés de toutes pièces dans le film deviennent même des termes spécifiques au hockey, la feinte « triple deke » ou la sortie de zone « flying v ».
The Mighty Ducks devient un phénomène dont Disney veut profiter. Et la prochaine étape est à la fois insolite et unique dans le sport professionnel : Disney et son patron Michael Eisner lorgnent sur une équipe NHL.
De la fiction à la réalité
Durant son mandat, le boss de la Walt Disney Company a été approché à plusieurs reprises pour intégrer le capital des Los Angeles Kings. Michael Eisner a toujours refusé mais il conservait l’ambition de mettre un pied dans le sport professionnel. Ce fut chose faite, avant même la sortie du film The Mighty Ducks. Eisner avait pris la décision d’acquérir une franchise en l’établissant à Anaheim. Anaheim est en effet un lieu stratégique de la banlieue sud de Los Angeles, dans le Comté d’Orange, où se situe Disneyland, le premier parc à thème ouvert en 1955 et né de l’imagination de Walt Disney. Avec le succès du film, le hockey devient une évidence même si la NHL se montre quelque peu frileuse de prime abord. Mais le géant de l’entertainment Disney insiste et se montre particulièrement convaincant, la NHL et la municipalité d’Anaheim ont tout à y gagner.

Le 10 décembre 1992, 69 jours seulement après la sortie en salles de The Mighty Ducks, la NHL annonce officiellement la relocalisation des North Stars du Minnesota à Dallas, et l’arrivée de deux nouvelles franchises, une à Miami et l’autre donc à Anaheim. C’est évidemment le cas californien qui interpelle, aussi bien sur le fond que sur la forme. Sur le podium, Michael Eisner se présente avec le maillot des Ducks sur les épaules et une casquette Dingo, avec le futur patron de la NHL Gary Bettman, Mickey et quelques jeunes acteurs du film à ses côtés. Le monde du hockey est sidéré.
Le 1er mars 1993, le nom de l’équipe d’Anaheim est dévoilé, puis le logo trois mois plus tard. Après réflexion et des propositions comme California Shakes, Orange County Bigfoot ou Anaheim Asteriks, ce ne pouvait être que les Mighty Ducks, le visuel du valeureux canard étant néanmoins transformé. Le scénariste Steven Brill se rappelle du processus créatif à nhl.com : « Je me souviens que j’étais en coulisses avec Eisner avant l’annonce de la naissance de l’équipe, personne ne connaissait encore le nom. Dans mes rêves les plus fous, je n’aurais jamais pensé que l’équipe porterait le nom des Ducks, encore moins des Mighty Ducks. » Celui qui avait inventé les Mighty Ducks au cinéma allait voir sa création devenir réalité.
Eisner confiait lui au LA Times : « À chaque fois que je suggérais le nom des Mighty Ducks, six personnes me disaient qu’aucun joueur de hockey ne jouerait pour l’équipe. Le problème c’est que, si nous ne gagnons pas dans 3 / 4 ans, nous pourrions être surnommés les « unmighty Ducks », ou pire. »
Michael Eisner est parvenu à remplir son objectif, ravi de créer une synergie entre le géant qu’il préside et le sport professionnel. Il a réussi à capitaliser sur un film à succès et espère compter sur son importante « fanbase ». Cette franchise NHL coûte 25 millions de dollars relatifs aux droits d’acquisition et 25 millions de dollars à verser aux Los Angeles Kings pour le partage des droits géographiques dans le sud-ouest de la Californie.
Mais pour s’assurer d’une entrée en lice rapide, la nouvelle organisation des Mighty Ducks, chapeauté par le président de Disneyland Jack Lindquist, doit s’assurer de deux conditions : disposer d’une enceinte et la remplir. L’Anaheim Arena est finie à temps, elle sera renommée Arrowhead Pond, Arrowhead du nom de la marque d’eau minérale et Pond signifiant « mare ». La mare aux canards est alors prête pour débuter l’aventure NHL dès la rentrée 1993 et le taux de remplissage est prometteur.
Une réussite commerciale sans précédent
Le 8 octobre 1993, les Mighty Ducks débarquent pour le premier match de leur histoire en NHL. Et la partie est évidemment précédée d’un show à la Disney. Une cérémonie d’une quinzaine de minutes à 450 000 dollars. Le tube « Be our guest » de la Belle et la Bête réinterprété à la guitare électrique, l’arrivée dans les airs de la mascotte Wildwing, la NHL plonge totalement dans le folklore Mickey.
Des canards pondus par l’empire Disney intègrent le sport professionnel, le milieu est sceptique et fait même sourire. D’autant plus que le marché sportif californien est vampirisé, à l’époque, par les Dodgers en MLB, les Lakers en NBA et les Rams en NFL. Mais pour bon nombre d’analystes, la contribution de la Walt Disney Company peut être énorme. Le nier, c’était probablement mal connaître la machine marketing Disney.

En 1993, la VHS du film The Mighty Ducks est l’une des plus louées aux États-Unis, rapportant 54 millions de dollars, soit plus que le montant initial du box office. La trilogie rapportera en tout 119 millions de dollars au box office, uniquement sur le territoire américain. Une série animée voit même le jour, design calqué sur l’équipe de hockey et titre très original, Mighty Ducks (traduit en « Canards de l’exploit » en français). Le logo est mis en évidence partout à la tv, au cinéma avec les deux suites du film original, et les nombreux produits dérivés dans les 200 magasins Disney à travers le pays. L’image est renforcée comme aucune autre équipe dans l’histoire du hockey. En 1995, on pouvait lire dans Orange Coast Magazine : « Personne ne pouvait marcher dans les rues de Californie du sud sans voir le logo de l’équipe ou ses couleurs marron / turquoise sur une casquette, un t-shirt ou un autocollant sur un pare-choc. »
Le merchandising fonctionne à merveille. Les Mighty Ducks d’Anaheim deviennent rapidement à ce jeu l’une des franchises les plus efficaces dans le sport professionnel américain. Dans ses premières années, 80% des ventes NHL liées au merchandising proviennent de l’équipe d’Anaheim. La présence de Disney dans le hockey est également une aubaine pour la NHL qui signe un accord de droits télévisés avec le groupe ABC / ESPN, appartenant à Walt Disney co., à hauteur de 600 millions de dollars.
D’un scénario pour Hollywood à une équipe NHL, il n’y avait qu’un pas… droit dans un ravin. Qu’a franchi la Walt Disney Company. L’impact de Disney dans le hockey est monumental, il ne reste plus qu’aux Mighty Ducks à appréhender la réalité de la NHL.
À suivre dans la deuxième partie
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